Maurice Steger en entretien avec la Société de Musique de La Chaux-de-Fonds

En amont de sa venue à la Salle de musique le 26 octobre, Maurice Steger se confie à la Société de Musique de La Chaux-de-Fonds. Il nous parle de sa passion, la flûte, de la Lautten Compagney, de Jean Rondeau et de musique.

Longtemps absente des salles de concert, la flûte à bec (mais aussi la musique baroque) connaît un regain d’intérêt depuis 20 ans, grâce à vous. Vous êtes un artiste demandé dans le monde entier. Spécialisé dans la musique ancienne (la littérature pour flûte à bec est particulièrement riche dans la musique baroque), vous n’hésitez pas à faire des recherches dans les archives pour redécouvrir des partitions ou fragments de partitions que vous reconstituez.

Qu’est-ce qui vous fascine tant dans la flûte à bec?

Ce qui m’intéresse avec la flûte à bec, ce sont ses sonorités directes, car le flûtiste a une influence sur presque tous les sons qu’il produits avec son instrument. Il n’y a pas de pièce intermédiaire, les sons produits sont par conséquent directs. C’est ce que j’aime avec cet instrument, mais cela représente aussi un grand défi pour celui qui en joue, étant donné que le flûtiste est responsable des sons qu’ils produits.

Vous jouez sur des flûtes de l’atelier Meyer, vraies œuvres d’art qui demandent une énorme technicité de la part de celui qui en joue. (Les Meyer ont développé le voicing: qui consiste à affiner la sonorité de la flûte en lui donnant plus ou moins d’amplitude).

Combien d’années vous a-t-il fallu pour maîtriser votre technique?

Je ne peux pas vraiment répondre à cette question. L’évolution et le perfectionnement technique d’un flûtiste ne finissent jamais. Il est vrai que j’aime beaucoup jouer les flûtes Meyer. On ne joue pas de la même façon sur ce type de flûte, parce que leur pratique est très physique. Elle réclame beaucoup de souffle de celui qui en joue et un équilibre entre pression et vitesse du souffle. Ce type de flûte me permet de mettre beaucoup de dynamique et de nuancer mon jeu, lequel peut être tantôt vif et mordant, tantôt brillant ou encore doux. Ceci nécessite bien sûr beaucoup d’essais et d’expérimentations avec l’instrument, ainsi que beaucoup de sensibilité et une technicité constante, afin qu’il y ait toujours une homogénéité entre le son et le timbre.

Nous l’avons dit, la musique baroque connaît une nouvelle jeunesse. Elle fascine un public pas forcément connaisseur de classique et de jeunes virtuoses comme Jean Rondeau (claveciniste avec lequel vous avez déjà joué à plusieurs reprises et qui se produira à La Chaux-de-Fonds lui aussi la saison prochaine) remplissent les salles.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur Jean Rondeau?

Jean Rondeau est pour moi un musicien dont le jeu est incroyablement clair, passionné et d’une grande musicalité. Il fait véritablement chanter son instrument pour le plus grand bonheur du public. Avec lui, le clavecin ne sonne pas comme une «machine à coudre», mais comme un instrument adulte très résonnant. Ses structures sonores laissent libre cours à son inspiration. Il en joue, il s’en délecte. Tout cela avec une grande technicité. Ses interprétations sont pour moi incroyablement convaincantes. Il n’y a rien d’extrême dans son jeu, ses tempi et son articulation sont normales, et pourtant il se distingue des autres clavecinistes, notamment par ses formidables sonorités. Jean Rondeau parvient en outre à insuffler ses propres idées d’improvisation dans ses interprétations, créant ainsi un accès direct aux œuvres. On a l’impression en l’écoutant que la musique se crée au moment où il la joue. C’est ce qui fait de lui un très grand artiste.

Observez-vous que l’intérêt pour la pratique de la flûte à bec a progressé chez les jeunes?

Je crois que la situation est telle aujourd’hui que moins de jeunes gens jouent de la flûte à bec, parce que les enfants n’ont plus l’obligation (scolaire) de le faire. Cela a pour conséquence que le nombre de flûtistes a baissé, en revanche l’intérêt pour la pratique de la flûte à bec a augmenté, parce que cet instrument a été spécifiquement choisi. Il y a eu une époque où presque chaque enfant jouait de la flûte à bec et je crois que cette époque est révolue. Il y a donc comme dit moins de flûtistes, mais je trouve merveilleux que l’intérêt pour cet instrument soit de plus en plus grand; les jeunes flûtistes ont une toute nouvelle conception – et passion – de leur instrument. Ils embrassent un nouvel avenir. La pratique de cet instrument a bien sûr évolué ces vingt dernières années. Désormais, la flûte à bec est vue comme un instrument adulte, avec lequel on peut tout faire musicalement, et sa pratique est considérée comme sérieuse.

A la Salle de musique, vous inaugurerez la saison 18-19 avec un célèbre ensemble de musique ancienne, la Lautten Compagney Berlin sous la direction de son chef, avec un programme Telemann, Bach, Montanari, Sammartini et Vivaldi.

Pouvez-nous dire pourquoi vous avez choisi ce programme?

J’ai la chance de pouvoir collaborer avec nombre d’ensembles baroques de réputation mondiale. Ce qu’il y a de merveilleux dans ces collaborations est que chaque ensemble à ses particularités et ses spécialités, avec des répertoires qui leurs sont bien spécifiques. La Lautten Compagney est tellement liée aux œuvres de Telemann et de Bach que l’ensemble a littéralement créé son propre langage et ses propres sonorités qui font le caractère unique et l’empreinte musicale de cet ensemble. C’est pour moi un vrai bonheur de pouvoir me produire avec cet ensemble. Tout sonne juste chez la Lautten Compagney, pas seulement le langage mais aussi le dialecte musical. C’est un ensemble au timbre souvent typiquement allemand qui reproduit à l’original la musique de Telemann ou Bach par exemple, mais qui se distingue aussi dans l’interprétation d’autres œuvres. Il a développé une certaine approche qui me plaît beaucoup, notamment avec les œuvres de Sammartini et Montanari.

Vous avez énormément de projets et de concerts. Trouvez-vous le temps de vous ressourcer et comment?

On a toujours besoin de temps pour trouver un nouveau souffle, une nouvelle inspiration, pour se reposer et trouver de nouvelles idées. En ce moment, je suis à la maison et je profite de ces instants – avant de repartir demain pour mon prochain concert – pour faire d’autres choses. J’adore cuisiner, je m’occupe de mes deux chats, je m’assois dans mon fauteuil et profite du confort d’être chez moi, au calme et sans stress.

Quel est votre prochain projet?

Je me réjouis déjà de l’enregistrement de mon prochain album. Celui-ci sera consacré à un compositeur qui a beaucoup fait pour faire connaître la flûte à bec auprès du public, à savoir Händel, mais pas seulement puisque j’enregistrerai surtout des œuvres de compositeurs que Händel a invités dans son orchestre en tant que musiciens. J’essayerai de reproduire l’environnement de Händel vers 1725-1730 à Londres avec ce CD qui montre tout la diversité et la richesse musicale du répertoire pour flûte à bec. Cet enregistrement paraîtra au printemps 2019. Ceci n’est pas mon seul projet, j’en ai beaucoup d’autres. Il y a toujours plein de choses qui se passent en même temps. Je vais créer de nouvelles histoires drôles pour enfants avec mon personnage Tino Flautino et son chat Leo Leonardo sur de la musique ancienne pour flûte à bec. J’ai la chance et le privilège de pouvoir concrétiser les projets que j’aime et d’avoir un public qui me suit.

Propos recueillis par la Société de Musique de La Chaux-de-Fonds

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