Domenico Scarlatti (né en 1685), qui formait avec Bach et Haendel un grand triumvirat de compositeurs, s’avoua vaincu à l’orgue par Hændel, lors d’un concours d’interprétation organisé à Rome, à la fin de l’année 1708, tandis que le comte de Shaftesbury se souvint d’un événement survenu au cours des voyages de Hændel à travers l’Europe: «Dans une des grandes villes des Flandres, où il avait demandé la permission de jouer, l’organiste l’assista, ne sachant pas qui il était, et sembla frappé par le jeu de Mr Handell dès que celui-ci commença; mais lorsqu’il entendit Mr Handell entamer une fugue, il fut stupéfait, courut vers lui et, l’embrassant, dit: ‹Vous ne pouvez être que le grand Handell›.»
Cette réputation d’organiste virtuose éblouissant, sa double fonction de compositeur et d’impresario, ainsi que la présence d’un orchestre inoccupé entre les actes des oratorios conduisirent Hændel à concevoir le genre du concerto pour orgue.
Les possibilités de dialogue enjoué entre l’orgue et l’orchestre (illustrées par le deuxième mouvement de l’op.4 no2), mais aussi le fait que Hændel pouvait laisser libre cours à son imagination pour improviser d’extravagants passages solos, impliquèrent que le concerto pour orgue attira souvent le public davantage que l’oratorio lui-même. Lorsqu’il souhaitait relancer un oratorio en perte de popularité, Hændel s’assurait que le concerto pour orgue accompagnateur figurait particulièrement bien en vue sur les affiches.
Travaillant sous une pression extrême – il composait et répétait les oratorios, mais gérait aussi toute la saison –, Hændel comptait énormément sur ses talents d’improvisateur pour les concertos. Parfois, il donnait à l’orchestre un vieux morceau à jouer, qu’il embellissait au fur et à mesure à l’orgue ; de même, il laissait des mouvements entiers à improviser le moment venu. Vers la fin de sa vie, sa vue se détériora rapidement et il se reposa plus que jamais sur ses talents d’improvisateur, dictant généralement une esquisse des plus ténues à son copiste John Christopher Smith junior (dont le père, Johann Christoph Schmidt, avait quitté l’Allemagne pour suivre Haendel en Angleterre, au tout début du XVIIIe siècle).
Les instruments anglais pour lesquels Hændel écrivit ses concertos pour orgue, et dont il fut un zélateur si remarquable, étaient en réalité très différents des somptueux orgues allemands pour lesquels Bach composait alors ses grands Préludes, Toccatas et Fugues. L’orgue anglais, beaucoup plus petit, comprenait généralement un seul clavier (ou manuel), disposait de moins de jeux – il n’avait ni anches flamboyantes, ni mixtures étincelantes (jeux qui actionnent plusieurs tuyaux accordés différemment pour une seule note) –, et produisait un son nettement plus doux et mélodieux. Autant de caractéristiques qui le rendaient, en fait, idéal pour accompagner un chœur ou se marier à un orchestre, dans des rôles d’ensemble et de soliste – ce qui explique sans doute pourquoi le concerto pour orgue du XVIIIe siècle fut un genre exclusivement anglais. Les orgues anglais étaient dépourvus du pédalier complet et indépendant qui faisait partie intégrante de leurs équivalents allemands. De très rares instruments plus volumineux se targuèrent de quelques «pull-downs» – des registres du manuel joués par les pieds –, mais ils n’eurent jamais vraiment de succès. Le jour où un pédalier fut ajouté à l’orgue de St Paul’s Cathedral, en 1721, il se révéla si impopulaire qu’il tomba rapidement en désuétude.
Vers 1739, Hændel commença à placer des signes dynamiques dans les parties d’orgue de ses concertos (telle l’alternance rapide de forte et de piano pour créer des effets d’écho dans le deuxième mouvement de l’op.7 no4), et donc à écrire pour un orgue à deux manuels. Il est également manifeste qu’un pédalier dotait l’orgue de Lincoln’s Inn Fields en 1740, car Haendel spécifie l’usage des pédales dans l’op.7 no1. (Il ne répéta d’ailleurs jamais cette expérience, les pédales n’étant utilisées dans aucun autre concerto.) De même, Hændel ne donne qu’une seule fois (deuxième mouvement de l’op.4 no4) des instructions détaillées quant aux jeux que l’organiste devrait employer: principal 8′, bourdon 8′ et jeu de flûte (une sonorité fidèlement rendue ici mais indisponible sur la plupart des petits orgues de chambre).
Peu d’orgues anglais de l’époque hændelienne survivent aujourd’hui dans leur forme originelle. Toutefois, nous pouvons faire remonter l’histoire de l’orgue de St Lawrence, Whitchurch, à la lisière du domaine de Canons, au nord de Londres, à l’instrument que Gerard Smith construisit pour cette église du temps où Hændel était au service du duc de Chandos, lequel résidait au moins une partie de l’année à Canons.
Le premier corpus de six concertos pour orgue, appelé op.4, fut publié à Londres par John Walsh, le 4 octobre 1738.
L’op.4 nol en sol mineur fut joué pour la première fois lors de la première d’Alexander’s Feast, à Covent Garden, le 19 février 1736. (Source: extraits de Hyperion)