Interview de Vincent Coq, pianiste du Trio Wanderer, en exclusivité pour la Société de Musique

Depuis 2010, Vincent Coq (à gauche sur la photo) est professeur de musique de chambre à la Haute École de Musique de Lausanne.

Préambule

Le concert du Trio Wanderer à La Chaux-de-Fonds le 26 novembre a une signification symbolique en cette 125e saison de la Société de Musique. En effet, c’est avec le concert du Trio Wanderer, donné le 14 mars 2010, que nous annoncions la fusion des Heures de Musique et de la Société de Musique de La Chaux-de-Fonds. A l’époque, le Trio Wanderer avait donné le programme suivant : Antonin Dvořák, Trio op. 90 «Dumky»,
Franz Liszt, Tristia (transcription de la Vallée d’Obermann) et Bedrich Smetana, Trio op. 15. Le Trio Wanderer a un lien fort avec La Chaux-de-Fonds car il est souvent venu que ce soit pour des concerts comme invité de la Société de Musique ou pour des enregistrements à la Salle de musique.

Dans la plaquette du 75e anniversaire, Yehudi Menuhin rendait hommage au peuple franc-montagnard et saluait le respect des traditions qui lui sont chères, traditions qui se perdent dans les grands centres. La Société de Musique est connue depuis 125 ans pour son accueil. Vous êtes venus à plusieurs reprises en concert, invité par la Société de Musique de La Chaux-de-Fonds. Que pensez-vous de la Société de Musique d’une part et de la Salle de musique d’autre part ?

La Société de Musique fait partie de ces grandes sociétés ou associations historiques, typiques en Europe, comme on en trouve encore en Allemagne mais hélas beaucoup moins en France aujourd’hui (au profit des structures étatiques beaucoup moins performantes). Elle font vivre la musique de chambre depuis des décennies voire un siècle et, contrairement aux organisateurs de concerts ou de festivals, marchent souvent avec des abonnements. Elles ont une connaissance du répertoire et une écoute en profondeur de la musique. Il y a donc une continuité dans leur travail. La Salle de musique est bien sûr très connue, mythique en Europe, avec son acoustique exceptionnelle, où énormément de grands artistes comme Claudio Arrau ont enregistré des albums. Nous y avons enregistré quatre ou cinq disques pour Harmonia Mundi. Nous avions connu M. Houriet, ancien président de la Société de Musique, quand nous étions plus jeunes. Une personnalité. Mais nous apprécions beaucoup la nouvelle structure et le renouveau qu’elle a su apporter. Ce qui est important avec ce genre de sociétés c’est le renouvellement du public. On ne peut pas se reposer sur ses lauriers et garder le fonctionnement qu’on avait au 19e siècle. Les médias et les moyens de communication changent. Depuis la nouvelle organisation, la Société de Musique a pris un coup de jeune, ce qui est très important. Nous aimons ce type de sociétés, car elles créent une base musicale importante en Europe et ce depuis fort longtemps. Le public est fidèle et cultivé. Nous savons tout le travail que fait la Société de Musique de La Chaux-de-Fonds. Elle a une vraie identité, donc une âme. C’est très important. Et puis les deux pianos de la Salle de musique appartiennent à la Société de Musique et je me souviens avoir enregistré sur le piano d’Arrau (NB: le piano sur lequel jouait Claudio Arrau au début des années 60 et le piano inauguré par Grigory Sokolov en 2009 appartiennent à la Société de Musique et sont toujours utilisés aujourd’hui).

Le dimanche 26 novembre, vous allez interpréter notamment le Trio n° 1 en si majeur op. 8 de Brahms dans sa version de 1854, que le compositeur a écrite alors qu’il n’avait que 21 ans. Le compositeur a retravaillé cette œuvre 20 ans plus tard. Vous avez enregistré ces deux versions, notamment à la Salle de musique. Qu’est-ce qui les différencie ?

Nous avons d’abord enregistré la dernière version. La première a été un peu oubliée au profit de la seconde. Celle-ci est la plus connue, c’est l’œuvre d’un maître à l’apogée de sa carrière, il y a donc une sorte de perfection. Cette première version est une œuvre romantique, moins structurée. Elle fourmille d’idées. Elle a ses qualités de ses défauts. Elle a été écrite à l’époque où Brahms était en rapport avec les Schumann. Brahms était amoureux de Clara, la femme de son ami et mentor Robert. On retrouve dans cette œuvre des allusions évidentes de cet amour transi qu’il avait pour Clara. Dans le dernier mouvement, il y a des citations (il y a en plusieurs) à «An die ferne Geliebte» (à la lointaine bien-aimée) de Beethoven, allusion directe à ses pensées pour Clara Schumann. C’est une œuvre pleine de passion, pleine de romantisme, avec de petits défauts au niveau la structure dus à un certain manque de maturité, mais c’est une œuvre formidable qui a été jouée durant toute la vie de Brahms. C’est à la demande de certains de ses amis que le compositeur a retravaillé la première version.

Vous fêtez vos 30 ans de carrière avec le Trio Wanderer en 2017. Quels en sont les moments forts ?

C’est très difficile de répondre à cette question. C’est plutôt une sorte de construction qui se fait peu à peu. Le moment fort c’est la rencontre, quand on a commencé à jouer ensemble. Les rencontres qu’on a faites lorsque nous étions étudiants, comme celle, extraordinaire avec le Quatuor Amadeus. On a eu la chance de travailler avec Norbert Brainin, c’était formidable. Ce sont des moments forts. Il y a les concerts. On a joué au Festival de Salzbourg. Ce sont des choses qui marquent. Il y a aussi des moments beaucoup plus anecdotiques, quand nous étions jeunes, qui n’ont pas été importantes pour la carrière, mais qui ont suscité des rencontres parmi les plus marquantes et les plus belles dans notre parcours. Je vais reprendre un mot de Leon Fleisher avec qui j’étais en contact plus jeune : «La chose la plus importante pour une carrière c’est l’expérience». Je suis de plus en plus convaincu de cela. Un musicien c’est une accumulation d’expériences, qui enrichissent la personne et peuvent transparaître dans sa façon de jouer. Pour nous, chaque concert a son importance, je ne pourrai donc pas citer l’un ou l’autre en particulier.

Où vous voyez-vous dans 20 ans ?

Nous ne faisons pas de plan. On ne sait pas quelle envie on aura. Nous ne pensons pas à cela. Et d’ailleurs si on prend le terme «Wanderer» du romantisme allemand, c’est un jeune homme qui part de chez lui à la découverte du monde et qui fait une sorte de voyage initiatique. La particularité du Wanderer est qu’il n’y a pas de but. Il n’a pas d’objectif défini. C’est une forme de vagabondage ou d’errance. Il y a cette idée qu’on est toujours en chemin. Et pour ceux qui connaissent les Winterreise (Voyages d’hiver) de Schubert, à la fin, le héros est mort. Et même dans la mort, il continue à marcher sans savoir où il va. C’est cela qui est portant je crois. Nous n’avons pas de but précis. A chaque fois, nous découvrons d’autres choses et faisons d’autres expériences, rien qu’avec le répertoire. Cette année par exemple, nous jouons sept ou huit nouvelles œuvres, donc différentes. Nous rencontrons de nouveaux musiciens. Il y a toujours quelque chose de nouveau. L’important c’est de se dire : on n’est jamais arrivé. Il ne faut surtout pas se dire : il n’y a plus rien à faire ou à apprendre. Ce qui tue un musicien c’est la routine. Il faut toujours se surprendre. Nous n’avons pas de plan, nous ne fonctionnons pas comme cela. Et cela évite l’ennui.

Quels sont vos projets d’enregistrement ?

Nous venons d’enregistrer un ensemble de Trios de Haydn. L’enregistrement paraîtra en fin d’année. Nous allons enregistrer en janvier, toujours pour Harmonia Mundi, des Trios de Rachmaninov. Ce disque sortira fin 2018. Nous avons encore plusieurs projets d’enregistrements en 2018, mais nous n’avons pas encore arrêté notre choix.

Propos recueillis par la Société de Musique de La Chaux-de-Fonds

 

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